Critique: Cowboy Bebop de Shinichirô Watanabe

S’il y a bien une série qui fait l’unanimité, c’est Cowboy Bebop. On ne trouve absolument rien à lui reprocher et, même s’ils ne se valent pas tous, les 26 épisodes constituent un indéniable sans-faute. Quand on en arrive à ce fameux final magistral, on a les tripes nouées, et on en veut plus. C’est la marque de fabrique des chefs d’œuvres. Cowboy Bebop a été un énorme succès public doublé d’un énorme succès critique, la renommée est tombée d’un seul coup sur les créateurs, qui ont découvert, hébétés, qu’ils étaient entrés dans l’histoire de l’animation, et qu’ils avaient réussi à faire une des séries les plus cultes de tous les temps. Forcément, la tentation de ne pas s’arrêter là devait être plutôt forte. Tellement forte, en fait, qu’ils y ont cédé. Un peu plus de deux ans après la diffusion de The Real Folk Blues sort donc Knocking On Heaven’s Door. Pas loin de deux heures de Cowboy Bebop, et sur grand écran s’il vous plaît.

La transposition vers le cinéma implique de nombreuses choses. Le budget est plus conséquent, les responsabilités sont plus lourdes, et les enjeux ne sont pas les mêmes. D’autant que le film se devait d’être autonome, pour que même les spectateurs qui ne suivaient pas la série puissent y comprendre quelque chose, tout en restant fidèle à son matériau originel, pour ne pas décevoir les puristes. Pas facile de faire plaisir à tout le monde.

Mais surtout, la principale différence entre un épisode et un long-métrage, c’est que, scénaristiquement, ça ne se construit pas pareil. Et c’est bien là que le bât blesse. Dans Cowboy Bebop (la série), les protagonistes voyagent de planète en planète, remplissent plusieurs contrats différents et croisent des dizaines de personnages secondaires tous plus hauts en couleurs les uns que les autres, qui leur volent parfois même la vedette (comme Cowboy Andy dans Cowboy Funk, Gren dans Jupiter Jazz, Pierrot le Fou ou Vicious). Si on n’oublie jamais qui sont les vraies vedettes de la série, c’est parce qu’on les retrouve invariablement d’épisode en épisode, et que leur background est creusé au fur et à mesure du temps.

Cette conception de la manière d’aborder des personnages sur le long terme est propre à la logique de série, et ne peut évidemment pas s’appliquer dans le cas d’un film censé tenir debout tout seul. C’est là que Shinichiro Watanbe (réalisateur) et Keiko Nobumoto (scénariste) ont merdé, en accordant une importance démesurée aux nouveaux arrivants et en oubliant complètement qui étaient réellement leurs personnages principaux. Si Spike et Faye restent assez présents, Jet et Ed se trouvent honteusement sous-exploités, dans des rôles presque uniquement décoratifs.

L’erreur de placement est de taille, mais, plus que de la colère, c’est de la frustration et de la déception qu’on ressent quand on voit le potentiel qu’avait pourtant ce projet. Car l’équipe originelle, présente au grand complet, n’a tout de même pas perdu la main, et l’esprit Cowboy Bebop (the work which becomes a new genre itself) est toujours bien présent. La fluidité de l’animation est encore plus léchée que d’habitude, la BO éclectique de Yoko Kanno frôle la perfection, et Watanabe nous balade sans souci et sans fausses notes de la SF au western et de New-York à Casablanca. On retrouve même les 3 grand-pères râleurs récurrents de la série. En revanche, pas de trace de Vicious ou de Julia, et on regrette amèrement que Nobumoto ait choisi de faire une impasse totale sur le passé des personnages, qu’il aurait pourtant eu le temps d’explorer à loisir.

Au lieu de ça, Knocking On Heaven’s Door s’intéresse à une enquête assez classique sur une histoire d’attaque terroriste qui se révèle rapidement être la quête personnelle et désespérée d’une âme en peine qui en a trop bavé. Une thématique qui correspond assez au ton de certains épisodes, mais dont la portée profonde est parasitée par des ramifications trop inutilement complexes de l’intrigue… A trop vouloir bien faire, on perd en spontanéité.

Le bilan peut paraître assez sévère, mais s’il l’est, c’est parce que Cowboy Bebop – Knocking On Heaven’s Door s’inscrit dans la continuité (entre les épisodes 22 et 23, pour être précis) d’une œuvre absolument culte, et que la comparaison est donc inévitable. A part ça, et si on le regarde sans en attendre quoi que ce soit de particulier, on passe vraiment un agréable moment. Le tout consiste à réussir à se dire qu’il est bon sans lui reprocher de ne pas être excellent.