Critique: Kamikaze Club de Kinji Fukasaku

Note des lecteurs0 Note
4

On ne parle pratiquement que de Kinji Fukasaku comme « le mec qui a fait Battle Royale ». A la limite comme le réalisateur de Battles Without Honor and Humanity ou, si on s’intéresse à la culture gay, celui du Lézard Noir. Ca reste tout de même assez réducteur pour un homme qui est à l’origine d’une soixantaine de films… D’autant que le fait qu’on l’associe principalement à Battle Royale lui donne l’image d’un cinéaste violent et nihiliste, ce qui n’est pas vrai sur l’ensemble de sa carrière. Aujourd’hui, on se penche sur Kamikaze Club, que Wild Side a eu la bonne idée de sortir en DVD il y a quelques années.

A la base, le film n’est qu’un bouche-trou dans la carrière du cinéaste. Il le réalise entre Le Lézard noir et Black Rose Mansion, juste histoire de ne pas rester à se tourner les pouces. Le scénar traînait dans les dossiers du studio, il le récupère et le réalise, apparemment sans trop se poser de questions. Pourtant, contre toute attente, le film se révèle être une des ses plus belles réussites, artistiquement parlant.

Le titre international du film est Blackmail is my Life, un titre qui met en avant les aspects les plus concrets de l’histoire, centrée sur une bande de petites frappes qui gagnent leur vie en tant que maître-chanteurs. Le titre pour la sortie française, en revanche, se place à un autre degré d’interprétation, pour plutôt mettre l’accent sur le fait que, dès le début du film, les personnages courent à leur perte. Plus qu’une simple histoire de gangsters, c’est le récit d’une ascension trop rapide qui ne peut se solder que par une issue fatale qui nous est fait.

Si le film dépasse sa condition primaire de film d’action ou de yakuzas, c’est grâce au travail virtuose de son réalisateur. Un autre que lui se serait fondu dans la masse des productions du genre. Or, grâce à une voix off s’adressant au spectateur, à une alternance de la couleur, du sépia et du noir et blanc, à l’emploi de séquences nostalgiques comme des refrains visuels, Fukasaku teinte son film d’une saveur aigre-douce qui le différencie des autres.

Toute l’aventure, comme toutes les aventures qui finissent mal, commence dans la légèreté. Le personnage principal, Shun, balance ses blagues et ses sourires avec une aisance déconcertante ; il a de l’argent, sa copine est belle, son business marche bien, et lui et ses 3 amis ont une place privilégiée dans le milieu du crime : assez doués pour que rien ne leur résiste, assez modestes pour ne pas s’attirer d’embrouilles. Un équilibre idéal, mais qu’il est impossible de maintenir éternellement. L’appât du gain, le désir de vengeance, le goût du risque les pousse à avoir les yeux plus gros que le ventre et à prendre des risques inconsidérés. Eux qui avaient commencé en troquant des enveloppes pleines de billets contre des secrets se retrouvent bientôt à utiliser des flingues, puis des cocktails molotovs… L’ambiance devient tendue, et ce qui avait commencé comme un gagne-pain facile et amusant devient un engrenage où le moindre faux pas risque de les amener six pieds sous terre. Les plaisanteries se font alors de plus en plus rares, le sang coule de plus en plus souvent, et la maîtrise du jeu change de mains. Le glissement subtil de la comédie vers la tragédie s’est opéré progressivement, sans même qu’on s’en rende compte ; petit à petit le sourire malicieux qui flottait sur les lèvres des « voyous » s’est transformé en grimace amère. A plusieurs reprises, le personnage d’Otoki sifflote une rengaine lancinante, qui prend des airs de marche funéraire mélancolique dans les derniers instants du film.

Kamikaze Club n’est pas le film le plus connu de Fukasaku, mais on ne peut s’empêcher de lui trouver des allures de chef d’œuvre caché à chaque fois qu’on le voit. Réalisé 5 ans avant Battles Without Honor and Humanity, il a à la fois l’enthousiasme insouciant de la jeunesse et la gravité tragique d’un vieil homme qui aurait perdu la foi. Car, comme le soulignent les dernières images, l’ascension et la chute de ces quelques personnages n’a rien de grandiose ou d’important. Leurs vies, comme ce qu’ils en ont fait, sont totalement insignifiantes, et leur fin ne changera rien au fonctionnement du système dans lequel ils évoluaient. Des petits voyous dont on ne connaît pas le passé et dont on se doute qu’ils n’auront pas d’avenir, se contentant de vivre leur présent au jour le jour sans se soucier du prix qu’ils auront à payer pour la douceur de leur vie, mais auxquels on trouve un côté terriblement attachant, grâce à un petit quelque chose en plus qu’on ressent mais qu’on ne peut pas pointer. La marque des grands films.

 

Kamikaze Club de Kinji Fukasaku
Kamikaze Club n’est pas le film le plus connu de Fukasaku, mais on ne peut s’empêcher de lui trouver des allures de chef d’œuvre caché à chaque fois qu’on le voit
Note des lecteurs0 Note
4