Critique : Godzilla de Gareth Edwards

Credit : Courtesy of Warner Bros
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4.5

Pour les 60 ans de l’icône de la Toho, Warner et Legendary pictures ont vu les choses en grand, à la mesure du roi des monstres. Pourtant avec ce reboot de Godzilla version américaine, l’appréhension était de retomber dans le grand guignol peu inspiré comme le fût le film ‘catastrophique’ de Roland Emmerich en 1998. Seize années ont passé, durant laquelle la Toho a fêté elle-même les 50 ans du monstre en 2004 avec Godzilla Final Wars, un vibrant hommage à toute la saga d’origine mais à visée quasi exclusive du public nippon. En effet Final wars est interprété par des acteurs en costume qui cassent des maquettes, l’anachronisme des effets passera difficilement les frontières, bien que le film soit de très bonne facture. Depuis 10 ans, le cinéma américain a également provoqué sa mue, avec la suprématie totale des blockbusters franchisés à base de superhéros, une recette qui artistiquement ne cessent de décevoir car peu de risques sont pris par les studios qui resservent quasiment le même film d’une license à l’autre. En revanche, la réussite économique est indéniable, de sorties en sorties, les dollars pleuvent désormais par milliards, alors que les films sont tous formatés et on ne sent que trop rarement l’identité d’un réalisateur derrière les productions. Est-ce que Tim Burton pourrait aujourd’hui faire un film comme Batman returns ? Au royaume des superproductions à retour sur investissements immédiat, la prise de risque n’est plus légion. Dilemme de départ pour ce projet de Godzilla américain : relancer une franchise est une chose, mais comment plaire aux fans des films originels tout en occidentalisant le tout pour pouvoir le distribuer dans le monde entier ?

Legendary Pictures a donc fait son choix et parié sur un jeune réalisateur indépendant : Gareth Edwards, réalisateur d’un unique film en 2010 au nom prédestiné : Monsters. Son film, un road movie en pleine invasion extra terrestre est très belle réussite, démontrant tout le potentiel ‘Spielbergien’ du jeune réalisateur. En équipe super réduite, et à la conception de tous les effets spéciaux de Monsters, Gareth Edwards démontrait une maîtrise rare. C’est sans doute ce qui a plu aux producteurs qui ont confié une machine colossale de 180 millions de dollars au jeune metteur en scène.

Le pari est il donc réussi ? Oui et ceux pour plusieurs raisons, bien que le film ne soit pas exempts de défauts. Tout d’abord ce qui est incontestable, c’est que l’on sent la vision d’un metteur en scène derrière ce film, et d’un metteur en scène qui aime son sujet et sa matière. Monsters nous montrer des extra-terrestres pas uniquement comme des monstres assoiffés d’êtres humains, ici dans Godzilla, Gareth Edwards réitère, et donne à Godzilla non pas le rôle de menace mais de défenseur, place que le roi des monstres a vite obtenue dans les films japonais des années 60. Gareth Edwards réussit à humaniser ses créatures, et les sublimer, même celles qui sont néfastes, ici les ‘Muto’.

Les créatures sont réussies et Godzilla devient un personnage à part entière, laissant une place moins bien définie aux humains. Même si le personnage de Bryan Cranston est intéressant, le film se focalise rapidement sur son fils interprété par Aaron Taylor-Johnson, celui-ci jouant un militaire téméraire, cherchant à rejoindre sa femme et son fils à San Francisco. Aaron Taylor-Johnson n’est finalement qu’un second rôle, comme les premiers sont tenus par les monstres, et donc à part observer, il n’a malheureusement pas grand chose à défendre. Même chose pour Ken Watanabe, qui joue un scientifique suivant les bêtes, son personnage semble dépasser par les évènements, l’acteur japonais traverse le film avec un regard monolithique… Le point faible du film se résume là-dessus, on sent la dramaturgie prendre des raccourcis pour avancer vers l’action et arriver aux scènes d’affrontement entre les monstres, un peu au détriment des personnages humains, surtout en seconde partie de film.

En revanche, à la mise en scène, Gareth Edwards donne une leçon magistrale, la scène des parachutistes, ou bien la scène où Godzilla se dévoile, sont impeccablement conduites, imaginatives, distillant parfaitement la tension. Gareth Edwards dévoile le monstre comme au bon vieux temps où les effets spéciaux n’étaient pas capables de tout, il nous le fait découvrir par morceaux, prenant son temps, pour finalement nous montrer une bête plus vraie que nature, et la doter d’une prestance impressionnante. On ressent un réel plaisir contemplatif à la vue de beaucoup de scènes, tant les plans sont beaux mais aussi montés dans un rythme qui nous permet de les voir, ce qui est rarissime dans ce type de productions où généralement les montages ultra rapides et clippés servent à cacher le néant de la mise en scène.

Ici avec Gareth Edwards aux mannettes, on en prend plein les yeux, mais dans le bon sens du terme, c’est à dire le sens esthétique et pas explosif. Parmi les idées audacieuses : la tête de Godzilla qui disparaît dans une épaisse fumée presque onirique… Le jeune metteur en scène maîtrise tous ses outils de cinéma et arrive sans conteste à la hauteur du Spielberg des années 70. Mais aussi sa réussite est d’arriver à faire le pont, de parler aux fans aussi bien qu’aux spectateurs friands de grands spectacles. Godzilla retrouve des atouts spectaculaires qu’il avait développés dans les films japonais, mais le film est bien contextualisé dans notre époque et évoque une sorte de Fukushima. Drôle d’anniversaire pour le monstre qui naît avec Hiroshima pour renaître à l’époque Fukushima. En tout cas, le réalisateur rend un véritable hommage au film d’origine et au genre de cinéma japonais qu’est le Kaiju Eiga (film de monstres).

Concernant la 3D, elle fait ici son effet, car la réalisation et le montage ont le rythme qu’il convient. Les plans ‘vue du ciel’ sont magnifiques, et l’impression de profondeur de champs augmentée fait office, étant donné aussi tous les plans d’ensemble des villes et des paysages incluant les créatures gigantesques. Et pour comparaison, Pacifique Rim en 3D rendait les combats illisibles au possible (de nuit, sous la mer et avec les lunettes 3D…), ici ce n’est heureusement pas le cas, même si les combats peuvent avoir lieu la nuit, l’action reste pleinement visible.

Chose surprenante, le compositeur français Alexandre Desplat (The tree of Life) signe la musique, encore un choix osé, mais également une vraie réussite, tant la musique est dynamique, donne de l’ampleur, et rappelle sans le nommer les compositions d’origine d’Akira Ifukube.

Pour conclure, ‘Godzilla Superstar’ pour ses 60 ans, son anniversaire est célébré de la plus belle des manières, à travers cette production artistiquement ambitieuse, qui nous révèle à la fois la résurrection d’un légendaire monstre de cinéma, mais aussi la naissance d’un grand réalisateur dont la carrière semble plus que prometteuse. A voir impérativement en salles !

[dropcap size=small]S[/dropcap]ynopsis :

Le physicien nucléaire Joseph Brody enquête sur de mystérieux phénomènes qui ont lieu au Japon, quinze ans après un incident qui a irradié la région de Tokyo et déchiré sa propre famille. Refusant de s’en tenir à la version officielle qui évoque un tremblement de terre, le scientifique revient sur les lieux du drame accompagné par son fils Ford, soldat dans la Navy1. Ils découvrent que les incidents ne sont pas liés à une catastrophe naturelle, mais à des monstres réveillés par des essais nucléaires dans le Pacifique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ces créatures sont surveillées par une organisation nommée Monarch2, mais elles menacent bientôt la sécurité de l’archipel d’Hawaï et la côte Ouest des États-Unis. Au même moment, la compagne de Ford, infirmière et jeune maman, gère les blessés dans un hôpital de San Francisco