Critique : la maison au toit rouge de Yoji Yamada

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3.5

Japon, 1936. Taki quitte sa campagne natale pour travailler comme bonne dans une petite maison bourgeoise en banlieue de Tokyo. C’est le paisible foyer de Tokiko, son mari Masaki et leur fils de 6 ans. Mais quand Ikatura, le nouveau collègue de Masaki, rentre dans leurs vies, Tokiko est irrésistiblement attirée par ce jeune homme délicat, et Taki devient le témoin de leur amour clandestin. Alors que la guerre éclate, elle devra prendre une terrible décision. Soixante ans plus tard, à la mort de Taki, son petit neveu Takeshi trouve dans ses affaires une enveloppe scellée qui contient une lettre.

La maison au toit rouge de Yoji Yamada (réalisateur de la longue série des Tora san) a été présenté comme film d’ouverture du festival Kinotayo à la Maison de la culture du Japon le 28 novembre dernier. Le film sera distribué en France au printemps 2015 par Pyramides distribution.

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La maison au toit rouge possède un charme certain, rappelant les mélodrames d’antan, à la fois simple et émouvant. L’histoire raconte la vie d’une jeune campagnarde, Taki, devenant bonne dans une maison bourgeoise de Tokyo, la capitale, à l’orée de la seconde guerre mondiale. Le film démarre aujourd’hui, à la mort de Taki, devenue une vieille dame. La narration se décompose en trois axes, d’abord le présent avec Takeshi son neveu qui vide la maison de sa tante, y découvrant une vielle enveloppe scellée, le passé proche nous montrant le même Takeshi pressant sa tante d’écrire son autobiographie, et enfin le passé lointain raconté par Taki dans ses écrits.

Ce procédé apparaîtra peut-être un peu trop didactique au début du film, puis finalement trouvera un sens justifié à la fin du long-métrage. On oscille donc entre ces trois temporalités, la plus intéressante étant la description de la vie de cette famille bourgeoise dans les années 30 et pendant la guerre. Taki apparaît alors non pas comme le personnage principal, mais plutôt comme le témoin du personnage principal, qui serait donc « la maison au toit rouge » et ce qui s’y passe à l’intérieur. Du Tokyo de l’époque, on ne verra que des photos sépia, Yoji Yamada se concentrant à décrire la société japonaise à travers le point de vue et la vie de la maison. Bien qu’au départ nous somme menés sur une piste romantique pour Taki, c’est bien sa patronne, Tokiko, qui vivra une romance avec Ikatura le jeune collègue de son mari, Taki devenant témoin de cette situation. Yoji Yamada réussit à dépasser ce canevas vaudevillesque pour dresser le portrait évanescent de Taki, dont on ne sait si elle est envieuse de sa maîtresse Tokiko ou si elle la protège.

A cet enjeu amoureux, se greffe l’engagement du Japon dans la seconde guerre mondiale, la description apparaît vraiment intéressante montrant l’enthousiasme nationaliste de l’époque, l’envie de construire un empire défiant l’Amérique, puis au fil de la guerre, la désillusion et bien entendu la défaite sévère du pays avec les bombardements de Hiroshima, et de Nagasaki.

Concernant la réalisation, Yoji Yamada développe une mise en scène tout en finesse, concentrée sur des plans fixes, dévoilant les sentiments plus aux travers des regards que des mots. On est ici proche d’un classicisme à la Ozu sans jamais tomber dans l’ennui. De belles idées parsèment le film, comme l’utilisation de maquettes lors d’un bombardement de Tokyo. Mais aussi, Yoji Yamada crée plusieurs situations humoristiques, rythmant ainsi le film et contrebalançant la gravité de ce qui se passe à l’extérieur de la maison, c’est à dire la guerre arrivant.

Le casting a été distingué lors de la dernière Berlinale en récompensant du prix de l’interprète féminine la jeune Haru Kuroki, qui offre une jolie prestation tout en mesure. Le choix de Hidetaka Yoshioka dans le rôle de Itakura est plus surprenant, car le personnage est censé être un jeune homme de la trentaine, l’acteur étant plus proche des 45 ans… En revanche, ayant participé à plusieurs films de la série Tora san, c’est un acteur fétiche de Yoji Yamada. La musique a été confiée à Joe Hisaishi, qui compose une bande son rappelant celle de Le vent se lève de Miyazaki, des mélodies assez proches tout en étant plus sobres.

En conclusion, La maison au toit rouge semble comme l’histoire qu’il raconte être un film du passé, peut-être dû à la très longue carrière de Yoji Yamada, 80 ans aujourd’hui. Cependant ce mélodrame, à la fois suranné, et très classique, arrive à ses fins, à savoir émouvoir et démontrer la bêtise du nationalisme ainsi que la tragédie d’une guerre. La maison au toit rouge mêle donc avec réussite la petite à la grande Histoire.

Le film sera à nouveau projeté le 11 décembre à 20h à la Maison de la Culture du Japon à Paris, sinon il faudra attendre sa sortie au printemps 2015.