Critique : Kung-Fu Masters de Clement Cheng et Derek Kwok

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Nous vivons dans un monde de post, où le premier degré semble être de moins en moins acceptable, et où tout ce qui est initialement trivial doit être soit doublé d’une profondeur insoupçonnée, soit traité avec cynisme ou dérision, que celle-ci soit bienveillante ou non. Cette vague, vous la connaissez bien : c’est Planète Terreur ou Hobo With a Shotgun qui jouent volontairement le bis, Kick-Ass qui démolit le mythe du super-héros, Black Dynamite qui gouaille la blaxploitation, Sharknado qui joue directement le ridicule à la place du terrifiant, ou même Le Bon, La Brute et Le Cinglé qui peut se permettre de tripoter les codes du western parce qu’il sait bien que tout le monde les a déjà assimilés. Le résultat va en général de l’insultant au charmant, mais ne dépasse que très rarement l’exercice de style ou la nostalgie un peu facile.

Rien qu’à voir l’affiche ou la bande-annonce de ce Kung-Fu Masters, on sent qu’il se situe dans ce genre de logique second degré et référentielle. Et pour cause : pendant toute la première moitié du film, entre la surutilisation des zooms dramatiques, le générique en pirouettes martiales, le personnage du vieux maître impitoyable et la narration en voix off, les réalisateurs se donnent beaucoup de mal pour nous tenir à distance de leur intrigue, presque comme s’il nous était interdit de la prendre au sérieux. C’est d’abord amusant, bien sûr, mais ça devient aussi rapidement agaçant pour l’amateur de films de kung-fu old school un peu sensible, qui risque d’avoir le sentiment qu’on se fout de sa gueule en même temps que de ce qu’il aime. Tout au long de la première partie, j’ai donc eu de sérieux doutes sur la sincérité de l’esprit dans lequel tentait de se placer Kung-Fu Masters.

Heureusement pour tout le monde, passé un certain moment, le film se fait plus clair dans ses intentions, troquant ses éléments de parodie pour de la comédie, et pénétrant tout à fait sérieusement dans un logique de film de kung-fu plus traditionnelle, sans perdre pour autant son humour. L’histoire racontée par Kung Fu Masters est celle d’un loser dont l’arrivée dans un petit village de campagne contribue à animer un conflit transgénérationnel entre de vieux adeptes d’arts martiaux reconvertis en gérants de salon de thé et les propriétaires sans-cœur qui cherchent à les expulser. Comme il se doit, cette rivalité économique se double bien entendu d’une rivalité martiale. Vous l’avez vu venir gros comme une maison : le jeune loser va apprendre le kung-fu à travers un parcours tant physique que spirituel, et il ressortira de l’aventure enrichi de nouvelles valeurs et enfin prêt à aborder la vie avec une meilleure attitude.

Kung Fu Masters est surtout un grand nostalgique et, bizarrement, il rappelle parfois plus la saga Rocky que les productions de la Shaw, auxquelles il fait pourtant beaucoup référence. On y retrouve donc notamment deux thèmes chers à Stallone et relativement absents des kung-fu flicks des années 60 et 70 : la fragilité physique des anciens combattants et le dégoût de l’industrialisation des sports de combats. C’est à partir de l’arrivée dans l’intrigue de la préparation à une compétition que le film se met à tenir, de manière assez explicite, son propos de fond, en opposant continuellement les puristes qui s’entraînent à l’ancienne et avec du cœur aux sales vendus capitalistes qui se perfectionnent sur des machines et parlent plus de retombées marketing que de technique martiale. Un message qu’on aurait bien sûr beaucoup de mal à critiquer, et qui peut peut-être être étendu à un commentaire plus large sur le cinéma de film d’action en lui-même, qui est de plus en plus digitalisé et surmonté, à l’image du cinéma occidental – le fait que le pire trou du cul de tout le film soit aussi le plus américanisé de tous n’est certainement pas une coïncidence.

C’est peut-être d’ailleurs là que le bât blesse, en définitive. Si les scènes de baston de Kung Fu Masters ont le bon goût de ne pas faire appel à des câbles et de taper plutôt dans le registre de la sobriété et du réalisme, elles sont loin d’être au niveau de leurs modèles et font l’erreur d’utiliser des effets « rayon X » qui font malheureusement ressurgir dans notre mémoire des choses aussi peu recommandables que Roméo doit mourir ou Le Baiser mortel du dragon… Pas classe, surtout quand on prend le parti de la nostalgie. Tout comme son point de vue mal défini et sa morale finale étalée de manière plutôt conne, Kung-Fu Masters est mignon et attachant, mais surtout très bringuebalant. Par chance (pour vous, pour moi, et pour le film lui-même), le goût d’amateurisme laissé en bouche par les réalisateurs est compensé par le talent de ses trois interprètes les plus murs, Bruce Leung, Chen Kuan-Tai et Teddy Robin. Les deux premiers brillent par leur charisme de vieux briscards rincés mais combattifs, et le dernier par son exubérance toute juvénile. Rien que pour ce joli trio, je vous recommande tout de même de jeter un œil à Kung-Fu Masters, votre temps ne sera pas perdu. Mais il était moins une.