Critique: Gf*Bf* / Girlfriend Boyfriend de Ya-che Yang

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3.5

Le second film de Ya-Che Yang, Gf*Bf* confirme son approche fine des relations humaines et son intérêt pour les situations d’éveil à la réalité (difficile) de l’existence. Il y présente la complexité d’un triangle amoureux tout à fait intriguant, mais tend à y ajouter trop de nœuds parfois inexpliqués, et à nous faire oublier la pertinence du contexte de transition politique taïwanaise.

Projeté dans le cadre de la cérémonie d’ouverture du festival du film pan-asiatique de Londres, le film Gf*Bf* réalisé par Ya-Che Yang, y a eu sa première européenne, sept mois après avoir dominé le box office taïwanais. Yang, un grand admirateur d’Oscar Wilde, considère cela comme un réel honneur d’être projeté à Londres – la ville de son idole.

L’influence de Wilde peut en un sens se faire sentir, par exemple, dans la scène de débauche précédant le départ d’Aaron pour l’armée. Sans raison claire, ils se retrouvent avec leurs visages peints de toutes les couleurs – une scène esthétique qui cache une réalité bien plus tortueuse. L’absence de responsabilité, un autre thème Wildien, transparait par l’infidélité d’Aaron envers Mabel qui pourtant la garde comme petite amie (ou maitresse ?), l’abandon de Liam face à une situation dont il perd le contrôle (ne pouvant se forcer à annoncer son amour pour Aaron), ou encore Mabel – qui elle non plus ne peut obtenir ce qu’elle le plus (rester auprès de Liam). Par ailleurs, tout au long du film, aucun ne fait vraiment preuve d’un réel sérieux dans leur engagement contre la police d’état et le gouvernement autoritaire – même lors des manifestations pro-démocratie.

La réalisation de Yang est rythmée, servie par une bande son entrainante, et des personnages complexes (hormis le pendant artificiel au discret Liam, l’homosexuel extravagant Sean).

Le triangle amoureux (Aaron aime Mabel qui aime Liam qui lui aime Aaron) est à sens unique et se détruit au fur et à mesure des années : Mabel cède aux avances de Aaron, devant sa petite amie, et Liam se retire voyant qu’Aaron ne perçoit rien de ses sentiments pour lui. Le personnage de Mabel est cependant torturé : même en sachant que Aaron l’a trompé et s’est marié avec une autre jeune femme rencontré lors des manifestations démocratiques, elle reste avec lui – et recontacte Liam seulement dix ans après, suscitant le doute sur la force des sentiments qu’elle a gardé pour lui. Liam, fidèle à lui-même, a cherché la consolation dans d’autres hommes, mais n’a pu oublier son amour pour Aaron. Mabel, que l’on imaginerait plus audacieuse et indépendante, du moins comme elle apparait étant plus jeune, aurait du cherché à se séparer de Aaron plus tôt que ça – mais son maintien auprès de lui surprend : serait-ce pour des raisons de confort (Aaron a épousé la fille du chef du parti démocrate)… et encore… Aaron tente de s’enfuir avec elle, pour lui prouver son attachement à elle, mais rappelé par le devoir (son fils avec l’autre femme), il reste à Taiwan.

Le pouvoir des suggestions est un art que Yang manie très bien, prenant soin de ne pas montrer les moments les plus difficiles. Il multiplie ainsi les échanges hors cadre (conversations téléphoniques par exemple) et les ellipses (les deux jumelles du début et fin du film suggèrent le choix de Mabel: donner naissance et mourir de sa tumeur grandissante). A multiplier les sauts dans le temps, représente les sentiments de Liam comme éternellement les mêmes bien que dix ans soient passés. Est-ce réaliste ?

Finalement, le jeu des acteurs Lun-mei Gwei (Mabel; Starry Starry Night) et Joseph Chang (Liam) est très touchant et puissant. En revanche, la performance de Rhydian Vaughan (Aaron; Monga) polluées de mimiques intempestives (voulues par le réalisateur, a priori) et d’un personnage un peu superficiel, est décevante. Bryan Chang (Sean) joue un personnage hystérique, contrastant avec l’atmosphère contrainte, hypocrite et relativement morose entre les trois personnages principaux.

L’expérience de Yang dans les drama télévisés se ressent dans sa capacité à développer des personnalités complexes à ses personnages (fasciné par l’origine étrangère de Rhydian Vaughan, il a peut-être moins travaillé cet aspect avec lui) tout en y mêlant un contexte de transition politique intéressant. L’humour, l’amertume et la richesse de l’action s’entremêlent et résultent un film efficace et très agréable.