Critique : Hana-Bi de Takeshi Kitano

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Septième film de Takeshi Kitano (Violent Cop ; Zatoichi ; Outrages), Hana-Bi est une œuvre complète et multi-facettes, qui nous parle avant tout de Mort, mais aussi d’Amour, de déchéance et de résilience, d’espoir et de fatalité. Une œuvre éclatante, voire flamboyante, comme en témoigne son titre (littéralement « Fleurs de feu », soit « Feux d’Artifice »), et dont il se dégage un sentiment diffus de tristesse généralisée, tant par son traitement esthétique que l’histoire en elle-même.

Mais l’élément le plus dramatique de l’œuvre reste sans conteste le personnage interprété par Takeshi Kitano lui-même, l’inspecteur Nishi, antihéros taillé sur-mesure pour l’acteur-réalisateur et qui représente à lui-seul tout le drame de la condition humaine. En effet, si ce personnage atypique ressemble sur beaucoup de points à celui d’Azuma dans Violent Cop (1989), pour sa brutalité excessive et sa manière peu orthodoxe de régler les conflits d’une part, mais aussi pour les liens inexistants qu’il entretient avec sa famille malade (la sœur handicapée mentale dans Violent Cop, l’épouse mutique condamnée par la maladie dans Hana-Bi), Nishi fait preuve d’une humanité qui échappait complètement au flic-sociopathe Azuma.

En effet, l’inspecteur Nishi est un personnage torturé, emmuré dans le silence, au regard éteint, déjà presque mort. Le jeu très minimaliste de Takeshi Kitano, qui ne parle que très peu durant tout le film, avec ses tics de visage et son impassibilité caractéristiques, colle parfaitement à la psychologie de ce personnage blasé par la vie. C’est cette profondeur, cette complexité intrinsèquement humaine, qui rend le personnage si attachant et confère au film toute sa puissance dramatique.

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Les autres acteurs sont tout aussi crédibles dans leurs rôles respectifs, et particulièrement Susumu Terajima et Ren Osugi, qui avaient déjà joué ensemble dans Sonatine, Getting Any ? et Kids Return. Tous les personnages de Hana-Bi ont en commun cette morosité comportementale, cette résignation fataliste à essuyer les mauvais coups du destin tout en essayant de continuer à vivre « malgré tout » (« il ne faut pas prendre tout ça trop à cœur », dira Nakamura à Nishi autour d’un verre après l’accident). De manière générale, tous les personnages de Hana-Bi sont ternes et tristes, comme vidés de leur substance par la Vie et son lot de vicissitudes.

Comme d’habitude dans les films de Kitano, la violence est omniprésente, souvent latente, mais toujours prête à exploser comme un cri sorti du silence. La multiplicité et l’originalité des manières de tuer, le rapport au meurtre teinté d’humour noir ainsi que la présence de Yakuzas dans l’histoire constituent en quelque sorte la « marque de fabrique » des films de l’Office Kitano, sa maison de production.

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La principale particularité de Hana-Bi réside dans l’importance accordée à la peinture, élément introduit par l’intermédiaire du personnage de Horibe (Ren Osugi), ex-flic et ami de Nishi devenu paraplégique après une descente qui a mal tourné et qui se met peu à peu à la peinture « pour tuer le temps ». Ainsi, de nombreux tableaux de styles très variés, tous peints par Beat Takeshi lui-même, se retrouvent disséminés un peu partout dans les décors. Le métrage en lui-même est régulièrement entrecoupé de plans entièrement consacrés aux œuvres, offrant par là même quelques doux moments de contemplation poétique. Ces instants de grâce nous permettent de nous extirper un peu de l’ambiance pesante du film en nous proposant de nous extasier sur le « Beau », tout simplement, exploitant ainsi à fond le concept de l’Art comme échappatoire à la vacuité et à la douleur existentielles.

Tout le concept du film repose donc sur cette alternance entre deux présentations antithétiques de la Vie : d’un côté sa noirceur, tragique, et de l’autre sa beauté, simple et magique. Enfin, l’on peut facilement faire le rapprochement entre l’histoire de Horibe et le passé de Kitano lui-même, qui s’est remis à la peinture après avoir subi un grave accident de moto qui a bien failli lui coûter la vie, en 1994. Celui-ci ayant frôlé de peu l’hémiplégie, et Hana-Bi ayant été réalisé trois années seulement après l’accident, on peut logiquement supposer que l’accident de Horibe soit une projection de celui du réalisateur.

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L’autre point fort du film réside dans sa bande-originale qui parvient sans mal à sublimer chaque plan au sein duquel elle est convoquée. Composée par Joe Hisaishi, qui avait déjà collaboré avec Kitano sur A Scene at the Sea, Sonatine et Kids Return, la musique de Hana-Bi est à l’image de son histoire et des personnages qui la portent, toute en ambivalence… Paradoxale dans ses notes empreintes de légèreté et de mélancolie à la fois, elle alimente en grande partie l’ambiance duelle et complexe qui caractérise le film.

Hana-Bi est donc une œuvre avant tout poétique, aussi  lumineuse que mélancolique, qui a su convoquer les extrêmes pour représenter la Vie dans ce qu’elle a de plus tragique mais aussi de plus beau. Indéniablement le chef-d’œuvre de Kitano, sans doute aussi l’une de ses œuvres les plus personnelles et touchantes à ce jour.

Hana-Bi de Takeshi Kitano
Hana-Bi est une œuvre avant tout poétique, aussi  lumineuse que mélancolique, qui a su convoquer les extrêmes pour représenter la Vie dans ce qu’elle a de plus tragique mais aussi de plus beau
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