Critique : 2 Soeurs de Kim Jee-woon

Après une longue absence, deux adolescentes, Su-mi et sa jeune sœur Su-yeon, retournent à la maison familiale en compagnie de leur père. Elles y sont accueillies par leur belle-mère, Eun-joo. Su-mi ne supporte pas sa belle-mère et Su-yeon semble en avoir peur. Très vite, leurs relations s’enveniment cruellement tandis que des évènements étranges viennent semer le trouble dans leurs esprits. Toutes trois vont alors sombrer dans un engrenage de haine et de violence dont les conséquences s’avèreront irrémédiables. Jusqu’où iront-elles pour avoir le dessus sur l’autre?

Autant mettre les choses au clair : porté aux nues ou jeté aux oubliettes, 2 Sœurs ne laisse pas indifférent. Il faut dire que Kim Jee-woon, l’auteur de The Quiet Family, A Bittersweet Life ou encore Le Bon, la brute et le cinglé n’a pas son pareil pour nous surprendre, autant dans le choix de ses films que dans sa manière d’appréhender un scénario. Et 2 Sœurs ne déroge bien évidemment pas à la règle : dès ses premières minutes, le film nous plonge dans des affres d’interrogations dont les réponses nous seront distillées par touches subtiles tout au long de l’histoire. Le spectateur décontenancé hésite même sur le genre de la pièce maîtresse qu’il a sous les yeux, tant le film aime à jouer sur des codes différents : a t-on affaire à un film d’épouvante ? Un drame psychologique ? Un yurei eiga (film de fantômes issus de la tradition japonaise) ?


L’intrigue, tortueuse à souhait, est efficace grâce à l’ambiguïté extrême de la mise en scène ainsi qu’au jeu très « habité » de ses deux actrices principales Im Soo-jung (I’m a Cyborg but it’s Okay) et Yeom Jeong-ah (Le Vieux Jardin). « Baby Face » (surnom d’Im Soo-jung), qui signe là son premier grand rôle au cinéma, est tout simplement époustouflante, littéralement transcendée par son interprétation du personnage torturé de Su-mi. Ses colères, ses angoisses et sa détresse sont retranscrites à l’écran de manière véritablement éprouvante ; ce magma incohérent d’émotions entremêlées nous parvient directement sous sa forme la plus brute, la plus authentique rarement atteinte au cinéma, et ébranle considérablement notre position de simple spectateur. Il n’est pas difficile d’imaginer la part d’elle-même qu’Im Soo-jung a dû placer dans ce rôle, tant sa présence est puissante de sentiments intenses et controversés. Yeom Jeong-ah s’est quant à elle montrée plus qu’à la hauteur pour donner la réplique à cette véritable torche humaine. Jouant de sa beauté froide et de son élégance un brin rétro, elle réussit à sublimer sa performance d’actrice dans ce rôle de belle-mère acariâtre car rejetée par sa nouvelle famille, au bord d’une folie monstrueuse sans possibilité de retour. Son regard glacial, son comportement bipolaire ainsi que sa cruauté sans limites l’érigent au digne rang des boggeymans humains les plus troublants de la décennie. Un rôle qui semble fait sur-mesure… A sa démesure.


S’il ne fait aucun doute que le film atteint l’excellence grâce aux jeux complémentaires de ces deux actrices talentueuses, ce n’est néanmoins pas là son seul point fort. La principale qualité de la mise en scène est de parvenir à instaurer une ambiance viscéralement sombre et oppressante, presque fantasmatique, tant par le choix des décors dépareillés aux motifs kitsch qui submergent notre champ de vision jusqu’à la limite de la nausée, que par l’obscurité prégnante qui envahit le film à mesure que l’intrigue avance. En effet, plus on s’enfonce au cœur de la relation tumultueuse qu’entretiennent Su-mi et Eun-joo, plus l’image devient sombre et fortement contrastée. Ce détail, loin d’être anodin, permet au spectateur d’entrer plus profondément dans l’histoire et de ressentir l’angoisse omniprésente qui règne au sein de cette maison familiale lourde de secrets.

Les apparitions du yurei sont quant à elles proprement effrayantes et contribuent à alimenter l’hermétisme du film : est-il une vision de Su-mi ou un véritable fantôme ou les deux ? Outre semer la confusion dans l’esprit du spectateur, les manifestations de cet esprit vengeur qui hante la maison n’ont pas beaucoup d’intérêt et auraient même pu être évitées par Kim Jee-woon car c’est précisément dans cet aspect du film que résident la plupart des critiques qui lui ont été adressées (on lui a reproché, entre autres, de surfer sur la vague du yurei eiga à la sauce The Ring). Jusqu’à la fin du film, dont le dénouement ingénieux en surprendra plus d’un, le spectateur cherche à saisir l’essence réelle des protagonistes dont les apparences semblent dangereusement trompeuses sans pouvoir s’empêcher de remettre en cause la réalité des évènements auxquels il assiste.

Détenteur du Grand Prix au festival fantastique de Gerardmer, 2 Sœurs est un véritable petit bijou du cinéma horrifique sud-coréen qu’il me parait indispensable pour tout cinéphile de posséder. A noter qu’un remake américain intitulé Les Intrus (The Uninvited) a été réalisé en 2009 par Charles et Thomas Guard, sans toutefois réussir à égaler l’original, vraisemblablement indétrônable.