Critique : Entre Le Ciel Et L’Enfer de Akira Kurosawa

Fin 1963 et après plusieurs immersions dans la catégorie polar noir (L’Ange Ivre, Chien Enragé et Les Salauds Dorment En Paix), Akira Kurosawa répond à ses obsessions et adapte une nouvelle du romancier américain Ed McBain.

Entre Le Ciel Et l’Enfer s’enclenche sur 45 minutes de huis clos. Un enlèvement, une demande de rançon, une mise en scène taillée au scalpel. Le salon cosy du premier acte de Entre Le Ciel Et L’Enfer se transforme peu à peu en purgatoire pour le patron d’une entreprise de chaussures ayant gravi la poisseuse échelle sociale à la sueur de son front.

La tension paroxystique installée par Kurosawa se dilue lentement dans un climat nourri par des plans séquences ébouriffants, au cours desquels Gondo, interprété par Toshiro Mifune, oscille entre culpabilité et indifférence quant au sort du fils de son chauffeur. Akira Kurosawa filme l’ultime dualité, va provoquer à grands coups de Cinemascope le bouleversement des extrêmes.

Le Kaji de La Condition de l’Homme, Tatsuya Nakadai, vieilli de quinze ans, interprète l’inspecteur en chef Tokura. Kurosawa filme un grand flic, méticuleux et cartésien, dont l’obstination et la soif de vérité se refléteront dans les lumières d’une mégalopole interlope. L’enlèvement par un être du bas, un déclassé, un sans grades fait vaciller la grande bourgeoisie d’affaire. Le patron incarné par Mifune doit tout reprendre, tout reconsidérer, sa position en tant que chef d’entreprise est prête à s’effondrer.

Le film de Kurosawa est réglé comme du papier à musique. Le noir et blanc de Takao Saito apporte contraste et épaisseur à ces espaces de tragédie. L’incolmatable brèche entre bien et mal sert une nouvelle fois de terreau à Kurosawa. Un axe de vérité démarque, rapproche, unifie ceux du haut et ceux du caniveau, ceux de l’Enfer justement. Sept caméras et demi sont installées dans un Kodama en marche…..

Le second acte de Entre Le Ciel Et L’Enfer est chirurgical, les détails, les doutes, le grossissement d’une réalité des bas fonds, les ravages de la drogue sont scrutés à la loupe. Apothéose de deux figures dostoïevskiennes, deux hommes sont séparés par une grille en fer. Le polar n’a jamais été si métaphorique. Akira Kurosawa met en images la plus efficace représentation du drame humain, anticipe ce qui restera de l’homme dans un système hiérarchisé.

La note des internautes :