Shinichiro Watanabe : Samurai Champloo Vs. Cowboy Bebop

Il y a quelques jours, j’ai fini Samurai Champloo, la deuxième série de Shinichiro Watanabe. J’avais dû regarder le premier épisode il y a quelque chose comme six mois, puis je m’en matais une fois de temps en temps, quand j’avais 25 minutes de libres et rien de mieux à faire. Samedi dernier, je me suis donc tapé les 5 derniers d’une seule traite, par envie de tourner la page et d’en finir une bonne fois pour toutes. Pas que la série soit mauvaise à proprement parler ; on y trouve une foultitude de bonnes idées, et rien que son style visuel est un argument suffisant pour qu’on la recommande à tout amateur d’animation.

Où est le problème, alors ? Il faut sûrement aller le chercher à un profond niveau de subjectivité : je ne me suis toujours pas remis de Cowboy Bebop. Et je pense que la plupart des gens qui ont déjà vu Cowboy Bebop me comprendront. Je pourrais m’étaler en long et en large sur la perfection absolue que représente cette série vieille de déjà plus de 10 ans, mais on y perdrait du temps. Allez donc checker la qualité du matériel en question si vous ne l’avez pas déjà fait, ça ira plus vite. Je suis d’ailleurs persuadé que tous ceux qui affirment haut et fort que Samurai Champloo est le meilleur animé de tous les temps sont en fait des petits jeunes qui n’ont jamais eu l’occasion de poser les yeux sur son grand frère. Pour faire simple, disons que Samurai Champloo, c’est Cowboy Bebop, mais en moins bien.

On peut séparer les grands artistes en 2 catégories. La première regroupe ceux qui ont la science du chef d’œuvre en eux : c’est Victor Hugo qui déclare « le génie, c’est 20 heures de travail par jour » ; c’est Stanley Kubrick ou Akira Kurosawa qui pensent leurs films avec une froideur et une rigueur quasi-mathématique. Et, de l’autre côté, on a les gens comme Takashi Miike, qui enchaînent sans discernement les bouses et les perles… Miike a quand même fait Waru presqu’en même temps que Imprint et Big Bang Love, fait incroyable quand on compare la qualité des deux seconds avec le premier. Même s’il est loin d’être aussi prolifique, Shinichiro Watanabe semble être fait du même bois. Alors qu’il est entré dans la grande histoire de l’animation en 26 épisodes avec Cowboy Bebop, Samurai Champloo tendrait à prouver qu’il a accompli cet exploit presque par accident, et que maintenant il se trouve bien emmerdé pour produire à nouveau une œuvre d’une qualité équivalente.

Watanabe n’a pas complètement saisi ce qui avait fait le succès de Cowboy Bebop, alors, dans le doute, il en a repris pratiquement tous les éléments : un groupe de personnages principaux qui voyagent ensemble et qui refusent obstinément de reconnaître l’attachement qu’ils ont les uns pour les autres, une galerie de seconds rôles qui change à chaque épisode, des décors en mouvement constant, des héros au passé sombre et indiscernable, et, of course, un soin tout particulier apporté à la synergie animation/musique. OK, les personnages voyagent de ville en ville au lieu de se balader de planète en planète, et ils se battent avec des katanas au lieu d’utiliser des flingues, mais, grosso modo, le schéma est le même.

Ce qui différencie vraiment Samurai Champloo de son aîné, en fait, c’est que la valeur du rapport humour/drame qui définissait le ton de Cowboy Bebop est ici inversée : la série est donc plus légère, plus drôle, plus axée sur l’action ; elle y perd en développement psychologique, en profondeur et en qualité scénaristique. Ca se ressent jusque dans les décors : les aventures de Spike, Jet et Faye se déroulaient dans les espaces confinés de leurs vaisseaux spatiaux, dans l’oppressante noirceur du vide intersidéral ou dans des zones désertiques et arides, tandis que Fuu, Jin et Mugen voyagent sous le soleil au milieu des paysages verdoyants du Japon médiéval et traversent des petits villages accueillants faits de bicoques en bois…

Le succès de Cowboy Bebop vient également des grands moments de solennité tragique qui ponctuent son déroulé. Chaque confrontation entre Spike et Vicious est d’un tragique à couper le souffle, et même des personnages comiques comme Faye ou Ed se révèlent porteurs d’une intensité insoupçonnée lors des épisodes de fin de série centrés sur eux. Cet effet est savamment négocié tout au long de la série, tandis que des bribes du passé des protagonistes leurs pètent régulièrement à la gueule pour rappeler au spectateur qu’ils ont un passé. Ces réminiscences leur donnent du corps, de la profondeur, du réalisme ; ils permettent un développement sur la durée et génèrent en nous cette charge émotionnelle qui fait de la fin du 26e épisode un instant si mémorable. Mais ce n’est pas tout : malgré ses moments de rire, la tonalité générale de Cowboy Bebop reste envers et contre tout dramatiquement sérieuse, à tel point que, même dans la durée ultra-réduite d’un seul et unique épisode, Watanabe parvient parfois à nous laisser nous attacher à un personnage éphémère assez pour que son destin nous émeuve autant que si on l’avait toujours connu… comme dans Venus Waltz. Dans Cowboy Bebop, chaque mort compte.

A l’inverse, dans Samurai Champloo, les morts s’empilent les uns sur les autres dans un charnier perpétuel. Comprenez-moi bien : je n’ai rien contre les amas sanguinolents de cadavres, surtout si les massacres à leur origine sont aussi joliment stylisés que ceux de Watanabe, mais cette cartoonisation de la mort tend à la désacraliser et, du coup, à chaque abruti qui se fait desquamer par Jin et Mugen, ils perdent de leur aura de gloire. Ils tuent si souvent qu’on finit par ne même plus trouver ça extraordinaire, et ils le font avec une telle facilité qu’on ne parvient même pas à les trouver particulièrement héroïques. Si les persos de Cowboy Bebop sont crédibles, c’est aussi parce que très tôt on les voit en position de faiblesse.

Le fait qu’ils soient imbattables implique donc une certaine forme de constance dans leurs psychologies respectives : ils apparaissent comme linéaires, et plus les épisodes avancent, moins on s’intéresse à eux. Ils sont les même au 25e épisode que ceux qu’ils étaient au second, et il faudra attendre les dernières minutes de la série pour les voir évoluer. Au final, cette pirouette finale se révèle plutôt mal négociée, puisqu’on n’a pas vu les protagonistes changer au fur et à mesure.

De la même manière, le fait que Samurai Champloo ait 3 personnages principaux est un problème. C’est une des originalités de la série, et ça aurait pu être un de ses points forts, mais l’affaire est tellement mal gérée qu’au final ce qui devait être un atout se transforme en handicap. Pour faire simple : les épisodes sont pratiquement tous indépendants les uns des autres, et ce qui est censé être la trame principale ne fait presque jamais surface, peut-être au nom d’une recherche de dynamisme foireuse, ou quelque chose de ce goût là. Le résultat est que, arrivés à la fin du 23e épisode, l’action se compresse subitement, comme si Waatanabe s’était rendu compte qu’il ne lui restait plus qu’une heure pour résoudre sa trame principale et les intrigues personnelles de Jin et Mugen. De l’épisode 24 à l’épisode 26, les 3 personnages feront donc simultanément face à leur passé : des personnages sortis de nulle deviennent ultra-importants, toutes les questions qu’on se posait trouvent des réponses en 10 minutes, et la série se finit comme ça, d’un coup, sans qu’on n’ait rien vu venir.

C’est le défunt DJ Nujabes qui s’est occupé de la BO de Samurai Champloo. Après Yoko Kanno en charge du son de Bebop, preuve est donc définitivement faite que les Studios Sunrise ont un goût impeccable en matière de musique. Nujabes est un putain de tueur, quoiqu’il fasse. Il balance des scratchs, fait flotter dans l’air des notes de piano évanescentes,  sature l’atmosphère du générique de ses beats aquatiques, donne le rythme juste aux séquences d’action, magnifiant ainsi leur perfection visuelle… Mais le sens du rythme du DJ met encore plus en valeur le fait que c’est précisément ce qui manque au scénario. 26 épisodes, c’est dur à tenir, il faut un certain sens de la cadence et du timing. Shinichiro Watanabe avait réussi cette cuisine compliquée avec Cowboy Bebop, puis la recette lui a échappée, et Samurai Champloo est né : de jolies couleurs, une belle présentation et des épices bien relevées, mais un dosage trop hasardeux pour qu’on en redemande. Ca fera l’affaire si vous n’êtes pas trop exigeant et, surtout, si vous n’avez jamais goûté au Bebop.

Samurai Champloo (6/10)

Cowboy Bebop (10/10)