Critique : L’Intendant Sanshô de Kenji Mizoguchi

L’Intendant Sansho arrive juste après le remake Sœurs de Gion de 1953. Sur les mélopées de Fumio Hayasaka, le noir et blanc de Kazuo Miyagawa transcende des espaces meurtris. Toutes les zones de l’archipel paraissent troublées par un mal politique, miroir d’une réalité de pouvoir à laquelle Mizoguchi a toujours voulu échapper.

La colère des chefs, le rugissement des seigneurs va secouer la terre et les âmes. Des fonctionnaires sont destitués. La famille d’un intendant renversé s’apprête à vagabonder. Mizoguchi filme l’errement d’une femme et de ses enfants.

Tamaki, la mère, est interprété par Kinujo Tanaka, la « fétiche » de Mizoguchi. Tamaki veille sur le bien être de ses enfants, Anju et Zushio. La caméra de Mizoguchi capte l’ordre naturel, la campagne est ventée et anarchique. Croyant à un acte charitable, la mère va être trahie par une rabatteuse, premier avertissement, l’Homme chasse l’Homme. Profit et gain ont absorbé la Tradition….

Dans le silence des fleuves, Mizoguchi annonce sans le savoir le Rwanda, illustre à sa manière le concept de génocide en filmant la cassure des liens entre des corps unis par le sang. Kenji Mizoguchi passe du désespoir profond au sacré marqué par des cieux toujours plus bas. Les plans de Mizoguchi sont des excroissances de Vérité.

L’Intendant Sansho au regard torve avance tel un kapo faisant régner l’ordre au sein de son goulag. De jeunes êtres captifs ploient sous les coups de bâtons. Le nô a illustré le déchirement, voilà qu’il illustre la colère et la fuite de condamnés marqués au fer rouge ou mutilés. Mizoguchi se place entre ces interstices, fait jaillir chaque recoin de l’émotion. Une âme maternelle se meurt au loin. Ce sacerdoce devient une propulsion pour Mizoguchi. Un roc veillant sur des âmes que le temps se chargera de faire grandir. La mère mizoguchienne est définitive.

Quand les plans de Mizoguchi s’assombrissent, laissant les fers marquer la chair, alors le sifflet de la prophétie déchire le murmure des fleuves. Pas de temps mort, Mizoguchi montre des êtres déracinés que l’on verra peut être s’émanciper. Le scénario de Yoshikata Yoda suit un mouvement inédit, faisant place à des arythmies, jusqu’à l’apothéose sonnant la fin du calvaire et la réunion de deux personnages unis par le sang.