Critique: Bodyguards & assassins de Teddy Chan

Gardes du corps et assassins a eu pas moins de 7 récompenses aux derniers Hong-Kong Awards, dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur pour Chan Delin. Wow. Ca en impose. Et non content d’être donc un succès critique considérable, le film est aussi le chouchou du public chinois. Une réussite sur toute la ligne, qui permet de prendre un peu plus la mesure du fossé culturel qui sépare la Chine et la France, vu que chez nous, la sortie du film est, disons, plutôt confidentielle. C’est bien simple : il ne sortira pas. Il a été projeté quelques fois pendant le Festival du Cinéma Chinois en France, et vous pourrez peut-être le choper dans des cinémas d’art & d’essai ou des salles à thème comme le Forum des Images ou la Cinémathèque française, mais il ne faut pas compter sur une quelconque sortie nationale. Le message est clair : les distributeurs français n’ont rien à foutre de ce qui se passe en Chine. Pendant que l’hexagone s’émeut comme pas permis des nominations aux Oscars et des récompenses de Sundance, on se torche royalement de ce qui se passe du côté de chez John Woo, Wong Kar-wai et Yuen Woo-ping, qui n’en seront pas moins allègrement pompés par les Occidentaux, qui choperont eux-mêmes des récompenses « internationales » en les imitant, histoire de boucler la boucle (et au cas où vous vous posez la question, je pense très précisément au cas Infernal Affairs Vs Les Infiltrés). Heureusement donc que nous sommes là pour nous intéresser à Gardes du corps et assassins.

Le film se déroule sur une période de 4 jours, à Hong-Kong, en 1906, sous l’occupation britannique. Sun Yat-sen, visionnaire et leader spirituel de la résistance, doit revenir sur sa terre natale pour y rencontrer les chefs des 13 factions rebelles des provinces de Chine et organiser avec elles le soulèvement du peuple. La réunion, bien que supposée secrète, est connue de tous, et, tandis que l’empire prévoit déjà de descendre Su aussi vite que possible, les rebelles s’organisent pour le protéger. D’où ce titre subtil, « Gardes du corps et assassins ».

Jusque-là, ça se tient. Je n’ai absolument rien à foutre du degré de précision historique de l’histoire et de l’exactitude du récit des évènements dans leurs détails : un documentaire a le devoir intrinsèque d’être correct et d’instruire le spectateur, un film est par défaut une œuvre de fiction. La seule chose qui compte, c’est que le scénario de Gardes du corps et assassins tel qu’on vient de l’évoquer tient la route : on a les gentils, les méchants, et un McGuffin autour duquel ils peuvent s’étriper. On fait pas plus solide comme base, et Chen Delin aurait pu faire un bon film d’1h20 là-dessus sans trop se prendre la tête et, surtout, sans nous prendre la tête. Mais tout n’est pas si simple, et il s’est senti obligé de rajouter des douzaines de saloperies toutes plus inutiles les unes que les autres à sa trame principale, jusqu’à l’overdose visuelle, jusqu’à l’écœurement total du spectateur.

Il a fallu pas moins de 5 scénaristes pour pondre le scénar hideusement protéiforme de Gardes du corps et assassins et, putain, ça se sent. Qu’est-ce qu’on trouve dans ce phénoménal merdier ? Un journaliste ex-prof ne supportant pas la vue du sang qui se fait kidnapper par un ancien élève devenu communiste convaincu. Un vendeur de tofu amoureux de plantes et qui fait des dunks avec des melons. Un mercenaire accro au jeu en quête d’une dignité perdue depuis longtemps. Un tireur de pousse-pousse qui veut épouser une fille de coiffeur aux pieds bots. Une troupe de théâtre faite d’anciens guerriers qui se battent contre des ninjas. La vengeance explosive d’une adolescente qui sait que le meurtrier de son père à un doigt tranché. La prise de conscience soudaine d’un businessman qui… Pardon ? Ca vous fait chier ? Vous ne voyez pas le rapport avec le sujet ? Moi non plus, mais je peux vous assurer que Chan Delin et ses 5 scénaristes ont foutu tout ça dans Gardes du corps et assassins, et tout un tas d’autres surprises tout aussi incongrues et pompeuses. Alors que ça vous plaise ou non, vous serez bel et bien contraint de vous taper toutes ces intrigues secondaires pendant 2h20.

Et encore, c’est sans parler des degrés de réalisme qui se télescopent violemment ou, au mieux, s’enchaînent sans transition. Pendant toute sa première partie, le film a un ton grave et solennel, l’action est minimaliste et on a l’impression que le réalisateur a fait le choix d’une certaine forme de naturalisme pour coller au mieux au côté historique de son drame. Puis, d’un coup, sans crier gare, voilà qu’un type se met à faire des bonds de 3 mètres de haut à la Yuen Woo-ping, que Donnie Yen se lance dans un combat de fou furieux ultra-chorégraphié, qu’un clodo se rase et se transforme en ninja de l’extrême. Voilà que les personnages deviennent subitement increvables, comme s’ils avaient oublié qu’ils étaient dans un film sérieux depuis plus d’une heure et demie. Je veux bien admettre qu’ils soient galvanisés par leur fierté nationale ou une ineptie symbolique de ce genre, mais il y a tout de même des limites à l’absurde, et Chen Delin passe trop souvent de l’héroïsme au ridicule. Un exemple frappant (et répétitif) de cette tare est son obsession à vouloir souligner la tragédie de la mort de ses protagonistes. Dès que l’un d’eux passe l’arme à gauche, il est filmé dans un ralenti qui s’étire à l’infini, un orchestre symphonique déchaîne tout son potentiel de pathos à cordes, puis l’image se fige sur le corps du défunt, un filtre sépia s’interpose, puis son nom complet, ainsi que la date de sa naissance et celle de sa mort s’affichent à l’écran… Jamais on n’aura filmé le trépas d’un héros national avec une telle vulgarité.

Le pire dans toute cette histoire, c’est sûrement que c’est ce genre de scène qui a valu sa pléiade de récompense à Gardes du corps et assassins. Le film n’est qu’un monstre boursouflé, bavard et prétentieux, avec une grande gueule déblatérant continuellement sur sa propre grandeur. Il exhibe à outrance son budget et la complexité de ses intrigues, il se gargarise de son étiquette de drame historique et se branle sur ses awards, mais vous voilà désormais avisés : si vous croisez sa route, inutile de vous arrêter ou de lui prêter la moindre attention, il ne mérite même pas que vous vous intéressiez à lui.