Critique : Je ne regrette rien de ma jeunesse de Akira Kurosawa

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1945 : Après une contribution à l’effort de guerre avec Le Plus Beau et après le diptyque Sugata Sanshiro, Akira Kurosawa met en images son premier mélodrame, s’entoure de ce que le Japon a fait de plus beau, l’éternelle Setsuko Hara, interprétant Yukie.
D’après un scénario de Eijirô Hisaita, Je ne regrette rien de ma jeunesse s’enclenche sur des ballades sauvages angéliques, au cours desquelles Kurosawa fait éclater le somptueux des campagnes de Kyoto, fief naturel d’une des universités les plus prestigieuses du pays. Le Japon est coupé en deux, des extrêmes se font face.

Une adolescente est prise en étau par des hommes constituant le futur de la nation. Sauf que l’époque entre peu à peu dans dans une phase de turbulence, le fracas des idéologies déchirera les liens les plus forts. Les universités sont noyautés par plusieurs étudiants abreuvés de doctrine marxiste, s’opposant à la politique d’expansion du Japon en Mandchourie. Yukie ne cache pas son mépris pour ces utopistes. Il souffle un vent de tempête sur le mont Yoshida.

Suivant un procédé que réemploiera Paul Verhoeven avec Soldiers Of Orange, Akira Kurosawa fait fracasser les destinées de tous ces personnages juvéniles : le gauchiste Ruykichi, interprété par Susumu Fujita, la bourgeoise bientôt travailleuse de la terre, campée par Setsuko Hara, le pleutre apolitique et asexué par Akitake Kôno. Tous subiront le poids de l’histoire.

Susumu Fujita, le premier acteur fétiche de Kurosawa, avant le tigre Mifune, incarne l’étudiant à la pensée rouge. Ce dernier met tout en œuvre pour faire plier le système. Par une frénésie de fondus enchaînés, Akira Kurosawa orchestre la révolte d’étudiants plus déterminés que jamais. Le père de Yukie, professeur émérite, expulsé d’une université en pleine tourmente, est une dernière figure d’apaisement, celui dont la fille percevait le révolutionnaire Ruykichi, comme une entrave à la bonne marche de la nation.

Yukie est une petite fille gâtée, cristallisée par le noir et blanc d’Asakuza Nakai. L’ovale de son visage ne sera bientôt plus maintenu par de petites mains délicates. Au fil des tragédies, elles sonderont la terre. Avant cela, la jeune fille décide de trouver un emploi dans la capitale. Dans le cours de son émancipation, soit quelques années après les révoltes de Kyoto, Yukie retrouve des compagnons de jeunesse. Le temps n’a rien entamé; Yukie aime plus que jamais Ruykichi. Sur les mélopées de Tadashi Hattori, les amants scrutent l’horizon de leurs vingt ans. On pense à Dostoïevski. Yukie, plus mûre, est incapable de soulager Ruykichi de l’épaisseur de sa doctrine.

A peine quelques instants d’amour et Ruykichi est accusé de terrorisme rouge. Yukie est interrogée et molestée par un commissaire interprété par le multi-instrumentiste Takashi Shimura. Le Japon fait la chasse aux espions. Les traîtres sont exécutés sans ménagement. Dans un nœud de corde, la Patrie écrase toute forme de dissidence.

Par un acte ultime de tendresse, Yukie va épouser l’idéologie de son amant, labourera jusqu’à l’évanouissement, le champ des parents misérables de Ruykichi. En se remémorant les confessions de ce dernier, Yukie s’offre en sacrifice, se transforme en figure supra-soviétique. Les mains sont déformées par l’effort, le teint est rembruni par un soleil inquisiteur. Yukie est transfiguré. Akira Kurosawa filme cette renaissance terrienne avec élégance. En apothéose, Yukie est femme.

Je ne regrette rien de ma jeunesse de Akira Kurosawa
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