Critique: Imprint de Takashi Miike

Note des lecteurs2 Notes
3.5

Vous voyez Masters of Horror ? C’est un projet lancé par Mick Garris (dont le passe-temps favori est d’adapter Stephen King à la télé ou au cinéma), au concept assez simple : réunir 13 réalisateurs de films d’horreur et leur demander de faire un moyen-métrage d’1h chacun. L’idée était pour eux de se faire un peu de thune en vendant le tout à Showtime, qui diffuserait régulièrement un épisode de la prestigieuse série. L’intérêt pour nous c’était évidemment d’avoir la chance de pouvoir assister à un joli regroupement de réalisateurs de haut niveau, qui participent tous ensemble à un espèce de revival plus adultes des Contes de la Crypte. Ca vaut le coup, quand même. Ces masters sont donc Garris lui-même, quelques amis prestigieux, mais aussi des gens dont il admire le travail… comme Takashi Miike.

C’est là que l’histoire devient rigolote : Miike, approché par Garris pour prendre part au projet, accepte. On l’imaginait mal refuser de réaliser un film d’horreur, de toute manière. D’autant que c’était l’occasion d’attirer sur lui l’attention du public américain, ce qui est toujours une opportunité intéressante. On sait que les télés et le cinéma américains sont plus frileux en matière de censure que ce que permettent les codes japonais, mais Miike est un type sympa et conciliant, malgré les apparences : d’après lui, pendant le tournage de son film, il était constamment en train de faire gaffe à ne pas aller trop loin et à « ne pas dépasser les bornes de ce que la télé américaine pouvait tolérer ». Ce genre de déclarations étant plutôt inattendues quand on connaît le reste de son œuvre, on peut se demander si le résultat est si édulcoré que ça.

Le résultat, c’est Imprint, et voici un indice sur la réponse : quand il l’a présenté à Mick Garris, le master des Masters l’a trouvé beaucoup trop trash et a demandé que des scènes soient coupées pour le rendre un peu plus soft. Vous croyez que Miike lui a planté des baguettes dans les yeux avant de lui arracher sa langue avec les ongles pour la bouffer en sashimi ? Pas du tout : il a gentiment accepté, a rembarqué son film et a fait quelques coupes dedans, avant de le proposer à Showtime. Verdict : même cette version censurée est trop extrême pour passer à la télé. La morale à tirer de tout ceci est sûrement que personne n’est capable de dompter le cinéma de Takashi Miike, pas même Takashi Miike.

Pas d’inquiétude, même s’il n’a jamais été diffusé, le film est quand même sorti en DVD. Le seul inconvénient, c’est qu’il fait partie du coffret Masters of Horror, donc même si c’est le seul qui vous intéresse, il faudra vous taper le prix des 12 autres en même temps. Magie du marketing. Mais c’est une autre histoire, revenons à nos moutons ensanglantés.

Dans Imprint, on suit un journaliste américain en voyage au Japon pour retrouver la femme de sa vie. En suivant sa trace, il se retrouve dans un bordel sur une île salace, et passe la nuit avec une prostituée au visage malformé, qui a connu sa bien-aimée. Elle passe donc la nuit à lui raconter ce qui lui est arrivé, est c’est pas joli-joli… Avec Imprint, adapté du roman Bokkee Kyotee de Shimako Iwai, Miike s’est fait son petit kaidan, une histoire de fantômes qu’on se raconte au coin du feu pour se souvenir de ce que ça fait d’avoir peur du noir. L’ambiance glauque et malsaine du film est, dans ce sens, une vraie réussite, et, au fond, Imprint n’a même pas besoin de nous choquer visuellement pour parvenir à ses fins, bien qu’il ne s’en prive pas.

La structure est assez intéressante, puisque Miike détourne l’effet Rashomon : au lieu de faire raconter plusieurs versions de la même histoire à des personnages différents, c’est un narrateur unique qui s’en charge, en révélant une nouvelle partie de la vérité à chaque fois qu’il reprend son récit. Au fur et à mesure qu’on progresse dans la narration, on explore différents genre d’horreur. Ca commence de manière assez classique avec de la torture en gros plan, et cette manière toute particulière de filmer à la fois la souffrance des innocents et la jouissance des sadiques. Miike a compris que pour faire souffrir visuellement le spectateur, il n’y avait pas besoin de faire gicler des litres de sang ou de couper des membres entiers… quelques aiguilles effilées bien placées font aussi bien l’affaire, et ont à la fois le mérite de l’originalité et celui du minimalisme. Il ne faut pas perdre de vue que Miike voit l’insoutenable visuel comme quelque chose d’assez ludique (Ichi The Killer en est évidemment la preuve), et il semble avec ici lancer à son spectateur un défi sur ce qu’il pourra supporter. Là où la plupart des réalisateurs (typiquement, les américains) détourneraient pudiquement l’objectif de la caméra d’une scène de torture pour ne pas forcer leur spectateur à tourner la tête, Miike continue obstinément de filmer en plan fixe là où ça fait mal, comme pour nous dire que si on ne supporte pas, c’est à nous de regarder ailleurs et pas à lui de filmer autre chose.

Mais en seulement une heure, on n’a pas tellement le temps de s’attarder sur ces futilités. Une fois qu’il a fini de s’amuser avec la torture, Miike passe vite à autre chose, pour se lancer dans une partie plus psychologique, où on n’est plus tant dans la douleur physique que dans une sorte de nausée perpétuelle face à des cruautés moins exotiques, plus communes, plus sales. Il gratte alors les tabous et nous jette à la face ce qu’on n’aime pas voir : de l’inceste, du viol, de la pédophilie, des fœtus morts. C’est un autre genre de malaise, quelque chose de moins immédiatement violent mais de plus ténu, et certainement de plus profond. Une fois encore, il s’en sort avec brio, et si à un moment ou un autre vous ne pouvez réprimer un désagréable frisson, c’est qu’il a bien fait son boulot. On regarde un film d’horreur pour voir des trucs horribles, non ?

Enfin, c’est dans la troisième et dernière partie du film qu’on sent le plus qu’Imprint est bel et bien un film écrit par un Japonais et réalisé par un Japonais. La particularité la plus frappante de l’horreur nippone, c’est sûrement son rapport au fantastique, avec l’intrusion d’éléments surnaturels quelque part entre le grotesque et le gerbant. Le film se termine sur une note de ce genre-ci, qui nous laisse un peu perplexes, à ne pas trop savoir sur quel pied danser, à ne pas trop savoir si c’est une nausée ou un rire nerveux qui nous serre la gorge, mais le résultat est en tout cas d’un effet saisissant.

En toute circonstance, le style visuel de Miike est en tout cas toujours aussi magistral. Il fait un usage incroyable des seconds plans, des décors et des couleurs numériques et, grâce à ses talents hors-pair de réalisateur, il réussit une fois de plus cet incroyable tour de force consistant à mêler l’horreur des scènes et la beauté transcendante de l’image, offrant ainsi une vision quasi-romantique de la violence la plus extrême. Il entraîne ainsi son film bien plus loin hors des frontières traditionnelles que n’aurait pu le faire un traitement plus classique de son sujet. Miike est clairement un maître parmi les maîtres, alors n’oublions jamais que, avant d’être un provocateur de premier ordre, il est surtout un grand artiste.