Critique: A Hero Never Dies de Johnnie To

A Hero Never Dies de Johnnie To
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A une époque, quand on parlait de cinéma d’action hong-kongais, les noms qui revenaient le plus souvent étaient ceux de John Woo, Tsui Hark et Ringo Lam, tout simplement parce qu’ils s’étaient exportés (comme des merdes, d’ailleurs) sous l’impulsion de Jean-Claude Van Damme. Quelques films avec les ricains, et c’est l’ensemble de leur filmographie qui gagne en visibilité internationale : un bon plan, si on ne voit pas de mal à vendre son âme.

Que ce soit par choix ou par manque d’opportunités, Johnnie To, contrairement à ses petits copains, n’a pas été fricoter en dehors de ses terres, et il a fallu attendre qu’un plus grand public s’intéresse au cinéma asiatique pour que Election, PTU et plus récemment Vengeance attirent enfin l’attention sur lui, alors qu’il est en activité depuis une trentaine d’années. Même aujourd’hui, c’est une galère monstrueuse de se procurer des vieux films de To. Pourtant ça vaut le coup de se donner la peine de chercher. A Hero Never Dies en est une belle preuve.

Si Johnnie To est moins connu que l’on été (ou le sont encore) ses comparses, c’est aussi parce que c’est un type plus extrême, plus radical ; même si les apparences peuvent le laisser croire, il ne parle pas le même langage que les autres réalisateurs de films de flingues. Il est, peut-être plus encore que John Woo, le styliste ultime de la fusillade. Là où les autres prennent le parti traditionnel de raconter une histoire en la teintant de leur style propre, To met les scénarios au service de son style et de sa vision. Ce qui, forcément, n’est pas du goût de tout le monde. On peut avoir un coup de foudre immédiat comme on peu crier au scandale.

Du coup, forcément, A Hero Never Dies, qui est typiquement représentatif du style de Johnnie To, s’inscrit dans cette lignée, et on pourra soit vivre pleinement les drames humains mis en scène, les grands moments de tension et les bains de sang héroïques, soit rire doucement en trouvant que son esthétique et sa BO ont l’air d’être restées coincées dans les années 80.

Ce qui fait la particularité et l’intérêt du film de flingues hong-kongais, et qui n’a certainement pas échappé à Johnnie To, c’est qu’il s’agit d’un genre qui met en scène des brutes sentimentales. Dans le fond, les portes-flingues sont souvent des grands romantiques. Dans A Hero Never Dies, les deux personnages principaux sont des tueurs appartenant à des gangs rivaux. Ils sont tous les deux de redoutables tireurs et, à force de passer leur temps à jouer à celui qui a la plus grosse paire de couilles à chaque fois qu’ils se croisent, ils ont développé l’un pour l’autre une estime réciproque bien particulière, qui fait de leur relation virile quelque chose de fragile et d’ambigu. Ils sont cools, ils ont la classe, sont détendus en tout circonstance et ont l’air indestructibles… sauf qu’ils ne le sont pas, et qu’ils vont l’apprendre à leurs dépends, au moment où ils sont trahis et laissés pour morts par leurs boss respectifs.

On s’attend alors à ce qu’ils soient tous les deux fous de rage et fassent équipe pour aller prendre leur revanche, n’écoutant que leur mâle fierté. C’est ce qui se passe dans 99% des films de vengeance, c’est un schéma ultra-classique. A part que Johnnie est comme nous : ce genre de trucs le fait chier depuis longtemps. Alors il contourne, il prend les stéréotypes à rebrousse-poil, et nous sert ce qu’on ne s’attendait pas à trouver dans notre assiette. Le film commence comme un film de gangsters à la cool et se termine dans un joli bain de sang, mais toute sa partie centrale est consacrée à l’analyse psychologique de ces types qui étaient au sommet et qui ont tout perdu du jour au lendemain. Le premier est à moitié catatonique, prostré dans un mutisme maladif reflétant une dépression nerveuse a priori irrémédiable, tandis que le second a découvert la plus pure des formes d’amour ; ni l’un ni l’autre n’a un flingue à la ceinture et, plutôt que de se venger, ils semblent décidés à essayer de tourner la page, en dépit des séquelles que l’aventure leur a infligées.

C’est ça le vrai coup de génie de Johnnie To : quand le désir de vengeance finit enfin par les rattraper, il prend des dimensions épiques que jamais il n’aurait pu atteindre en suivant le cheminement habituel. Pour pouvoir pleinement profiter de A Hero Never Dies, il ne faut pas chercher le réalisme ; ce film se regarde comme on lirait une fable barbare ou une tragédie dépressive : en acceptant les faits et les images au premier degré, sans s’accorder les droit de les questionner. On se laisse porter par la réalisation virtuose du maître, on profite comme des gosses de la scène des verres de vins, on chiale au coucher de soleil, et on jubile pendant le final explosif ; au générique de fin, on réalise avec stupéfaction qu’on a eu la chair de poule pendant une heure et demie et que, même si ce n’est pas toujours facile de défendre un tel monument de kitsch, on aurait bien aimé en avoir plus.